Au bout du monde… en tromblon !

Ou comment choisir le vôtre

Article initialement publié pour le site Fast and Lucky !

Mon histoire commence en France. Comme tout bon aventurier qui se dessine, je me demande avec quelle bécane j’ai envie de partir. Mon portefeuille est maigre, et plus j’en garde plus j’en profiterai pendant le voyage. Je n’avais le permis que depuis un an et une CB 500 dans le garage. L’Africa Twin, l’ancienne, m’avait toujours fait rêver mais mes jambes courtes et inexpérimentées m’ont plutôt poussé vers une Transalp de 1989, à peu de choses près similaire.

Une bonne vieille à tout faire !

Six mois plus tard, c’est pas loin de 20 000 km que je lui ai mis. Et pas que de la belle route toute lisse. Elle a tout vu et presque tout supporté pendant mon voyage qui m’a conduit de France en Mongolie. Du sable chaud sous 54° au Kazakhstan, des cailloux et des rivières à plus de 4000 m d’altitude au Kirghizistan et j‘en passe… Elle est tombée, à l’arrêt et en mouvement.

Elle a même fini dans une voiture en Croatie où tout l’avant a été refait par un génie de la bricole. Ce surdoué de la réparation a sauvé mon voyage. C’est Antonio qui m’a amené chez lui après avoir mis « l’accidentée » dans son fourgon. Il l’a regardée.

Mon mécano croate de génie : Miljenko.

Il manque la moitié des rayons. La crashbar de droite s’est enfoncé dans le radiateur et l’échappement. Les tubes de fourche sont complètement voilés. Le carénage est broyé. Je suis épuisé, sonné, comme un type qui vient de voir sa vie défiler et son voyage partir en fumée. Et il me dit tout net : « Dans 36 h elle est sur pied ! » Le lendemain, la moto est pendu au monte charge, l’avant est en pièce par terre. Les dégâts sont important mais son sourire en dit long. Tout est réparable sauf la jante. Je me rappelle encore le voir dévoiler les fourches avec sa presse au fond du garage. Un génie. Pendant ce temps là je me fait plein d’amis. Je n’oublierai jamais ces rencontres auxquelles je dois toute la suite du voyage.

Au réveil du bivouac en plein milieu des montagnes du Kirghizistan.

Je n’avais pas fait beaucoup de modifications avant de partir. J’ai ajouté des crashbars, un sabot moteur en alu, changé les suspensions et ajouté un coussin de selle. C’est tout ce dont elle a eu besoin pour être prête à voyager.

Cette Transalp, je l’ai chérie tous les jours. Elle n’a faillit qu’à quelques kilomètre de la ligne d’arrivée. Une bobine qui se faisait la malle. Son twin poussif m’a toujours donné du plaisir sur les pistes de sables ou de terre. Une bonne reprise à bas régime, un bon frein moteur pour ralentir mes élans de cascadeur. Pour finir ce fabuleux périple j’ai même roulé avec des enduristes, pleine balle dans les steppes mongoles. Rien à faire, il n’ont pas réussi à me semer. Il faut dire que je ne l’ai guère ménagée cette chouette moto.

La Transalp dans les montagnes kirgyz après une nuit bien au chaud avec une famille chaleureuse.

Moi, c’est en avion que je suis rentré de Mongolie, malade depuis vingt jours. Du lait de jument fermenté qui a continué à m’empoisonner la vie pendant de longs mois. J’ai versé une petite larme en la quittant. Comme toute moto sur laquelle tu as posé tes fesses tous les jours pendant cinq mois. Je me suis rappelé le nombre de personnes qui voulaient me l’acheter tout au long du voyage. Dans des pays ou les 150 sont maîtres et ou la plus grosse cylindrée dépasse rarement les 250. J’ai voulu lui écrire un poème mais je n’ai réussi qu’à faire une vidéo.

Ses seuls défauts, selon moi, sont le poids, la capacité du réservoir un peu limite pour voyager, la consommation d’huile et le frein à tambour arrière un peu faible. En tout terrain, c’est un régal même si son poids peut être un handicap. Sur route, tout va bien aussi, mais j’ai rarement dépassé les 110 km/h pour préserver un peu d’autonomie.

A peine remis sur pied, je voulais repartir. Le voyage est une drogue, elle rentre lentement dans vos veines pour s’y installer à jamais. Le pire, c’est que j’ai découvert le bonheur de partager. Et par la même occasion de donner envie aux autres d’en faire de même. Quand je me rappelle que de nombreuses personnes ont bien rigolé quand je leur ai présenté mon projet de voyage ! Partir si loin sans expérience, sans avoir jamais posé mes pneus sur le gravier et avec une moto sur laquelle je ne touche presque pas le sol ? Pourtant je l’ai fait. Non sans peine mais ce fut une expérience incroyable. Dix sept milles kilomètres tout seul, tout ça en partant du pas de ma porte, avec un vieille moto achetée mille euros. C’est à la portée de bon nombre d’entre vous, pourvu que vous en ayez l’ivresse !

Nouveau départ, nouveau tromblon !

Du coup, comme c’était trop facile, j’ai décidé de corser les choses pour ce nouveau voyage avec… une KLE. Cette Kawa a juste ce qu’il faut de puissance, une hauteur de selle bien raisonnable et elle est un peu moins lourde que la Transalp. Son moteur, qui vient de la GPZ 500, est increvable et robuste. Tout ce qu’il me faut en somme, d’autant que mon pote mécano en a une dans son garage pour un euro le cheval.

Sur la Transamazonienne, à un des rares endroits où la forêt est protégée !

Niveau préparation c’est autre chose que la Transalp. Après pas mal de tests en off road, dont le fameux Pérégrine Tour, je décide de rehausser le garde boue, d’y ajouter une bavette à l’avant comme à l’arrière pour la protéger de la terre. Kawasaki n’a pas pris autant de temps que Honda pour peaufiner le côté aventurier de l’animal… Je double le sabot moteur et y ajoute une protection pour la pompe à eau. Je change aussi le pot d’échappement, le mien ayant rendu l’âme. Et c’est là que les choses se compliquent. Peu de pièces d’occasion disponibles et parfois même impossibles à trouver en neuf car la production est arrêtée. Bref, une vraie galère mais je n’ai pas dit mon dernier mot.

En septembre, un an après mon retour, la belle est prête et part dans un bateau pour la Guyane Française. C’est le début de mon aventure à travers l’Amérique du Sud. J’y suis encore au moment où j’écris ces lignes. La KLE, surnommé “Tonnerre Mécanique”, a vécu beaucoup d’épreuves depuis le départ. La traversée fantastique et poussiéreuse de l’Amazonie, après trois jours passée sur ce célèbre fleuve du même nom. Du chemin roulant, des nids de poules, de la pluie et surtout du soleil à en brûler la forêt. Ce que certains n’hésitent pas à faire d’ailleurs pour y laisse brouter leurs bovins. Un carnage forestier sur le bord du chemin…

Puis arrivé aux abords du Pérou, face à la première grimpette, elle a failli. L’ouverture de la boite à air est trop petite. En prime elle est super bien située sous le réservoir, histoire d’être obligé de tout enlever pour aller l’ouvrir et continuer son chemin !

C’est toujours plus facile avec un ami, et oui pour les pros on aurait dû mettre la sangle en croisant…

A force de chercher les problèmes, je les ai finalement trouvés, dans le fond d’une vallée perchée à plus de 4 000m en prime. En quête d’un bivouac, on s’est retrouvé invité par un péruvien. Et le lendemain, après une nuit bien froide, la moto n’a pas voulu redémarrer. J’ai tout essayé, on a changé les batteries avec notre ami péruvien. Essayé le démarrage à la poussette (pas facile à cette altitude). Rien, nada, du coup on a fini par tendre un sangle et faire comme les gars du Dakar. Pas facile facile, dans une pente je sens qu’elle veut démarrer. Mais rien n’y fait… Puis je repense à la veille. J’avais voulu checker une fuite au niveau du réservoir. La voilà ma panne. J’avais oublié de remettre le tuyau de décompression. Pas d’essence, pas d’allumage nan ? Bref une fois le tuyau renfilé et avec un peu d’élan, elle est reparti. Et moi j’ai roulé, gaz en grand, jusqu’en haut de la montagne avec les écoliers et les ouvriers qui me regardaient ébahis ! Une fois arrivé à Cuzco, j’ai résolu mon problème en changeant les gicleurs. Un soulagement !

Désert de Paracas, un vrai paradis au bord de la mer, novembre 2016

Après la visite du célèbre Machu Pichu, on passe quatre jours dans la cordillère de Vilcabamba à arpenter les chemin qui, de montagne en montagne, nous font avancer comme des tortues. Des vues magnifiques nous attendent à chaque passage de col qui nous emmènent régulièrement à plus de 4 500 m d’altitude. Dans ce décor, la KLE est un régal. Tout comme dans le désert de sable de Paracas au bord de l’Océan Pacifique…

Quelques jours plus tard, après une balade dans le sable à plus de 5 000m au flanc d’un volcan, elle me pose beaucoup plus de soucis. Le verdict, après quatre jours de recherches acharnées : perte de compression donc segments à changer ! Après ça, la moto s’est transformée, une patate d’enfer. C’est marrant, c’est mon premier rodage. Depuis tout va bien, si on oublie qu’il faut, comme toute moto de plus de 20 ans, en prendre soin tous les jours et resserrer quelques boulons.

Au bord du lac Titicaca, après un petit bain revigorant à 3800m d’altitude !

Le twin parallèle est très particulier et jouissif. Le frein moteur est bien moins actif que sur un twin en V. Pourtant j’adore cette moto, l’avant est particulièrement moche mais rien de bien important. La garde au sol est un peu limite et m’oblige à rouler de manière plus réfléchie. Le confort est spartiate mais suffisant avec le petit coussin de selle. J’ai atteint des records de consommation après avoir changé les gicleurs : 5 litre au cent au lieu de 7,5. Son réservoir de 15 litres est un peu léger pour partir à l’aventure mais pas pire qu’une autre moto.

No stress, au matin du bivouac en plein altiplano péruvien.

Et si on comparait avec une bécane actuelle ?

J’ai roulé à travers toute la Mongolie, avec un couple d’Italiens. Eux et Clément, mon acolyte depuis quatre mois en Amérique du Sud, ont choisi la même moto : la célèbre V Strom 650. Leurs motos ont enduré les mêmes choses que les miennes. Les Italiens sont arrivés en Australie et y travaillent depuis une bonne année.

Clément lui est toujours dans mes baskets. Et cela lui a valu un cadre fêlé (évitez de monter un béquille centrale si vous prévoyez pas mal d’off road) et une suspension arrière HS. Elle m’a toujours fait de l’oeil cette moto, elle est comme la CB 500 : une basique prête à tout faire. Du coup dernièrement, pour se marrer, on a échangé nos motos. En off road, sur route et même en duo, passager comme pilote.

Cette V-Strom est un boulet de canon sur la route. On ne sent pas le vent depuis poste de pilotage. La position est assez particulière. Je m’y sentais un peu comme sur un roadster. En TT, c’est un vrai tank. Pas de place à la finesse, si tu veux sortir d’un mauvais pas, la poignée de gaz est ton ami. Je n’avais aucun ressenti du pneu arrière. Impossible de savoir si ça glissait. Par contre quelle reprise ! C’est une véritable polyvalente. Je la respecte beaucoup malgré des défauts assez importants : les jantes à bâtons et la garde au sol assez basses. Je m’en plaignais au début sur ma Kawa mais là c’est encore pire ! Beaucoup de voyageurs partent avec cette moto, alors pourquoi pas ?

Me voilà au milieu de l’histoire, un peu en dessous de Santiago au Chili. Prêt à en découdre avec la Patagonie et ses paysages de rêve. J’adore ma moto et j’ai toujours des sentiments pour celles d’avant. Après tout, elles m’ont toutes les deux permis de vivre des aventures inoubliables et c’est bien là le principal. Aucune bécane n’est dépourvue de défauts, comme nous d’ailleurs. Une seul chose est sûre, elles procurent du plaisir et elles peuvent toutes vous permettre de voyager !

Sur le célèbre Salar d’Uyuni, le 1er janvier 2017.

Laquelle du coup ?

Il y a quand-même quelques critères pour choisir sa moto de voyage. Les questions à se poser avant de partir sont nombreuses. Quel type de terrain vous allez emprunter ? Êtes vous du genre bricoleur ? Préférez vous une moto infaillible ou une moto réparable partout dans le monde ? Avez vous besoin de bonnes grosses valises ou deux slips vous suffisent ? Court sur pattes ou géant ? Moto légère ou grosse autonomie ? Votre portefeuille est-il bien rempli ? Ce qui est sûr, c’est qu’on a tous une façon différente de voyager. Il n’y en a pas une meilleure que l’autre. Il y a juste à trouver la vôtre !

La mienne c’est un vieux tromblon qui tombe parfois en panne mais se répare partout. C’est d’ailleurs souvent l’occasion de rencontrer des gens géniaux. Pas d’électronique sophistiquée, un confort spartiate et une bonne agilité en tout terrain. Elle ne brille pas à l’extérieur mais brille en dedans. Elle ne donne pas trop envie au voleur. Elle a peu d’autonomie mais tous ses défauts lui donnent du caractère ! Et une fois arrivé à destination, elle me rend tout fier et tout content.

Vous en avez beaucoup croisé vous, des Kawasaki de vingt cinq ans d’âge qui ont grimpées plus haut que le Mont Blanc ?

Et vous qu'en pensez-vous ?

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